Correspondance avec Jean-François LavèreD'abord, mon interrogation :
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Je ne vois, je comprends pas ; je ne m'explique pas l'intérêt que peux avoir pour l'intéressé, l'humanité, Dieu ou qui sais-je encore, le fait de "s'offrir" en victime expiatoire, de faire le sacrifice à Dieu d'un mal-être quelconque qui m'afflige ! Dois-je me réjouir pour attester que je m'en fiche ? Qu'est-ce que j'offre, en fait ? Rien ! Si encore mon mal disparaissait en échange... .Penser que mon sacrifice (qui n'en est pas un !) peut satisfaire ce Dieu doit être offensant pour lui, non ? Et puis, croire que le dit sacrifice peut avoir une incidence sur le cours de telle ou telle chose, n'est-ce pas un immense péché d'orgueil ? Serait pour me faire pardonner mes propres fautes à l'égard de Dieu que j'accepterais avec soumission, voire joie, le mal qui me frappe ? Ce serait supposer que c'est ce Dieu qui me l'a infligé et que j'accepte sa sentence ! Folie ! Nous n'en sommes pas encore à l'heure du jugement...
J'ai une prothèse de la jambe gauche par suite d'artérite, une vessie artificielle par suite de cancer, il n'y a qu'un responsable, c'est moi, grand fumeur depuis l'âge de 13 ans (les Américains... 1945 !). C'est très handicapant mais, philosophe, j'en ai pris mon parti (le moyen sérieux de faire autrement ? sinon c'est suicidaire). Si je disais : "j'offre ma douleur à Dieu" ça ne rimerait à rien ! Je préfère me montrer tel quel aux fumeurs que je connais et leur dire : "Prends une photo de moi, regarde-là : c'est toi dans 30 ans !" Ca, je crois,est plus utile... le reste, foutaise ! Sauf argument convaincant de votre part...
Voilà pourquoi, d'instinct, j'ai répondu 'non' à l'hypothèse de Maria Valtorta s'offrant en victime sacrificielle. Je suis un peu déçu et j'attends votre réponse avec intérêt. "
Ensuite, sa réponse :
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Ce sujet est absolument indissociable de la notion du péché originel, et de celle de la Rédemption, qui se trouvent au cœur même de la religion catholique.
Je doute vraiment, en quelque mots, de réussir à vous éclairer un peu, (encore moins à vous convaincre ?) sur cette question sur laquelle vous semblez buter depuis soixante ans, et que je n’ai moi-même commencé à assimiler que depuis à peine une quinzaine d’années !
Mais comme il n’est heureusement pas nécessaire de réussir pour entreprendre, je ne vais pas me dérober.
Bien entendu, le premier conseil qui me vient à l’esprit, c’est de lire (ou de relire) et de méditer la lettre apostolique de Jean-Paul II sur ce sujet. Ce texte résume à lui seul 3 ou 4 millénaires de réflexions sur la souffrance, et je serais bien incapable de vous écrire quoi que ce soit de plus convaincant. Je puis simplement vous dire qu’il correspond exactement à ce que je crois.
Tout au plus puis-je essayer d’en schématiser les grandes lignes :
- La religion catholique considère la souffrance, et plus généralement le mal, comme « une absence de bien ». L’homme souffre de ce qu’il devrait avoir, (la santé, la foi...) et qu’il n’a pas...
- La souffrance, sous une forme ou une autre, étant commune à tous, chacun participe, qu’il le veuille ou non, à ce monde collectif de la souffrance.
- Alors viennent obligatoirement deux questions : « Pourquoi ? » et « Pour quoi ? ».
- Même inconsciemment, tout homme pose en fait ces questions à Dieu, et c’est justement en l’absence de réponse jugée satisfaisante que l’homme en vient à nier l’existence de Dieu.
- La Révélation nous apprend que Dieu est le Créateur, et que la création étant fondamentalement « bonne », toute transgression consciente et libre à ce « bien » est à la fois opposition à la Loi et offense au Créateur : ce que l’on nomme le péché.
- Si la justice impose que toute faute entraine réparation, il n’est pas vrai que toute souffrance soit la punition d’une faute.
- La souffrance est une épreuve pour « reconstruire » le bien perdu.
Voici un très bref résumé des 12 premiers chapitres de cette lettre qui en comporte 30.Je vous exhorte donc à vous y reporter pour avoir une vision exhaustive sur ce mystère de la souffrance !
Si la lecture de ce texte de Jean-Paul II vous « branche », comme on dit de nos jours, en voici le lien original, en français :
http://www.vatican.va/holy_father/john_ ... is_fr.html
(pour les références des citations nombreuses de ce texte, il faut se référer à la version italienne) :
http://www.vatican.va/holy_father/john_ ... is_it.html
J’admet qu’il doit être bien difficile « d’offrir à Dieu ses souffrances », même pour le réconfort des autres, « si on ne croit pas en Dieu » ! L J !Et il est totalement exclu de pouvoir accorder le moindre crédit à cette offrande dictée par l’amour, si on refuse le possibilité de l’existence d’un monde spirituel, tout aussi réel que le monde matériel, ou tout simplement si on ne peut pas croire que Dieu est Amour !
Pourtant c’est un fait « matériel » indéniable que tous ceux qui ont « offert » leurs souffrances, physiques ou morales, en ont toujours tiré à la fois réconfort et paix intérieure (les témoignages surabondent). Et parfois, (pour ne pas dire souvent), ils ont pu avoir la preuve matérielle que cette offrande avait été « bénéfique » pas seulement pour eux.
Voici maintenant un dialogue extrait de Maria Valtorta, qui peut illustrer ce propos : Lazare est gravement malade, et il a « offert » ses souffrances à Dieu, pour obtenir la conversion de sa sœur Marie Madeleine. Il converse avec Jésus :
- C'est un décret de Dieu que tu souffres.
- Et que je meure. Dis-le aussi. Eh bien… que soit faite sa volonté, comme tu l'enseignes. Désormais je ne demanderai plus la guérison, ni de soulagement. J'ai tant eu de Dieu (et il regarde involontairement Marie, sa sœur) qu'il est juste que je donne ma soumission en échange de pareil bien…
- Fais davantage, mon ami. C'est déjà beaucoup de se résigner et de supporter la douleur. Mais, toi, donne-lui une valeur plus grande.
- Laquelle, mon Seigneur?
- Offre-la pour la rédemption des hommes.
- Je suis un pauvre homme, moi aussi, Maître. Je ne puis aspirer à être un rédempteur.
- Tu le dis, mais tu es dans l'erreur. Dieu s'est fait Homme pour aider les hommes. Mais les hommes peuvent aider Dieu. Les œuvres des justes seront unies aux miennes à l'heure de la Rédemption. Des justes qui sont morts depuis des siècles, de ceux qui vivent maintenant ou qui vivront dans l'avenir. Toi, unis-leur les tiennes dès maintenant. C'est si beau de s'unir à la Bonté divine, d'y ajouter ce que nous pouvons donner de notre bonté limitée, et de dire: "Moi aussi, ô Père, je coopère au bien de mes frères". Il ne peut pas y avoir d'amour plus grand pour le Seigneur et pour le prochain que de savoir souffrir et mourir pour donner gloire au Seigneur et salut éternel à nos frères. Se sauver soi-même? C'est peu. C'est un "minimum" de sainteté. Il est beau de sauver, de se donner pour sauver, de pousser l'amour jusqu'à se rendre un brasier d'immolation pour sauver. Alors l'amour est parfait. Et très grande sera la sainteté de celui qui est généreux.
Un dernier mot, mon cher Coriolan.
Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
La compassion évidente que vous montrez envers les fumeurs, dans l’espoir de leur éviter les souffrances que vous endurez stoïquement, c’est déjà un très beau geste d’amour. Et c’est exactement ces gestes d’amour fraternel qui sont agréables à Dieu.
Celui là est presque « matériel ». Les souffrances offertes sont des gestes plus « spirituels », mais dans leur essence, ils sont de même nature, des gestes d’amour, envers le prochain ou envers Dieu.
Pardonnez-moi la longueur de cette « petite précision », qui, hélas, n’effleure qu’à peine le sujet.
J’espère que vous n’estimerez pas que j’ai botté en touche en vous aiguillant vers Jean-Paul II. PS : Voici une autre réflexion tirée de Maria Valtorta, et qui, si en y réfléchissant, n’est pas étrangère au sujet en cours !
Quel bien Dieu retire-t-Il de la création? Quel profit? Aucun. La Création n'accroît pas Dieu, elle ne le sanctifie pas, elle ne l'enrichit pas. Lui est infini. Il aurait été tel même si la Création n'avait pas existé. Mais Dieu-Amour voulait avoir de l'amour, et Il a créé pour avoir de l'amour. C'est uniquement de l'amour que Dieu peut tirer de la Création, et cet amour, qui est intelligent et libre uniquement chez les anges et les hommes, est la gloire de Dieu, la joie des anges, la religion pour les hommes. Le jour où le grand autel de la Terre ne ferait plus entendre des louanges et des supplications d'amour, la Terre cesserait d'exister. Car une fois l'amour éteint, serait éteinte la réparation, et la colère de Dieu anéantirait l'enfer terrestre que serait devenu la Terre. Donc la Terre pour exister doit aimer.Ma chère Spirit, on ne répond pas à un message pareil sans un minimum de réflexion, permets que je me retire pour aller me coucher. A toi, bonne nuit ! Et cogite bien.
SUITE DE CE TEXTE SUR 'SPIRITUALITE', Rubrique " Sacrifices, victimes expiatoires, mortifications, etc."