par coriolan » 14 Sep 2012 12:18
(suite...)
Aussitôt Arès entra en contact psychique avec son frère consanguin :
- Te voici donc ! l'interpella-t-il tout de go.
- Arès ! s'exclama Hermès, c'est plaisir de t'entendre.
- Qu'est-ce que c'est que cet édifice ? Je n'ai jamais rien vu de pareil !
- Ca ? C'est un réacteur à photons !
- A photons ! s'écria Arès avec surprise. Mais à quoi cela sert-il ?
- C'est une nouvelle façon d'extraire l'énergie de la matière ; elle offre l'avantage de ne pas produire de déchets, ce qui est tout de même un plus non négligeable quand on sait les problèmes auxquels Progus a confronté ces pauvres Pagans.
- Toujours aussi sensible, hein ? ricana Arès. Ainsi ton intérêt pour les Pagans t'a conduit jusqu'à l'affrontement avec les lois de la physique ?
- Oh ! pas seulement. Disons que j'ai décidé de consacrer mon temps à la mise en place d'un certain projet qui me tient à cœur. Surtout depuis le désaveu public de Majus dont j'ai été l'objet, enchaîna-t-il d'un ton las.
- Désaveu ! s'exclama Vindici qui, en compagnie de Progus, venait de rejoindre Arès.
- Si cela n'en est pas un, ça lui ressemble, plaisanta Hermès avec aigreur.
- Et pour quelle raison ? questionna Progus.
- Oh ! En tant que parent d'Arès, pendant plusieurs millénaires, sans jamais approuver son attitude à l'égard de Majus, j'ai toujours été enclin à essayer de le comprendre et, à défaut de partager toutes ses bonnes raisons, de tenter d'obtenir son pardon. Or non seulement ce pardon-là m'a été refusé, mais on m'a condamné pour l'avoir envisagé !
- Mon pauvre Hermès, ironisa le dieu félon, tu es un éternel sentimental. Cela te perdra.
- Je ne me fais aucune illusion. Depuis notre séjour dans ce lointain superamas galactique, sur la planète Terre, j'ai conservé et entretenu quelque chose d'humain contre lequel je ne peux me défendre...On ne se refait pas, soupira-t-il, surtout quand on est un dieu !
La forme éthérée d'Arès esquissa un sourire que Hermès ressentit.
- Ainsi donc tu rejoins notre petite équipe ! se réjouit-il.
- Vous rejoindre ? Non. Je ne partage pas du tout, mais alors pas du tout votre conception de la vie que vous envisagez pour les Pagans. En revanche, je veux bien cohabiter sans pour autant renier mon appartenance au locus, et ceci dans l'intérêt des Pagans. Ce qui fait, ajouta Hermès avec une pointe d'émotion dans la voix, que je ne désespère pas de rentrer en grâce un jour et d'obtenir votre absolution à tous les trois.
Hermès ressentit en lui le rire homérique qui secoua les trois énergies, et visiblement cela l'attrista.
- Voyons plutôt ta nouvelle invention, dit enfin Arès.
- Et comment ça marche...enchaîna Progus, ironique.
Sous la conduite de Hermès, ils allaient pénétrer à l'intérieur de la construction cubique, quand Vindici s'exclama :
- Attention ! Ce peut être un piège... Je n'ai pas confiance.
- Sottise, lui répondit Arès. Hermès matérialisé est avec nous, et nous-mêmes étant énergie rien ne saurait nous piéger.
Non sans peine Vindici se laissa convaincre et les trois entités énergétiques suivirent Hermès au sein du cube.
Ils se trouvèrent dans une salle de béton brut qui occupait la totalité de la construction. Tout était d'une géométrie sobre et rigoureuse, à l'exception du sol qui formait comme une espèce d'entonnoir à pente très douce où, au point le plus bas, on pouvait apercevoir une petite bille en acier d'un centimètre de diamètre.
- Fermons la porte, dit Hermès, afin que je vous explique le fonctionnement qui, vous allez le voir, est très simple.
Lorsque la pièce fut close, une lumière indirecte diffusée à partir du plafond éclaira le local. Mais ce fut une attention bien inutile puisque Hermès, par sécurité, eu égard à ce qui allait se passer, se dématérialisa à l'instar des trois dieux.
Progus allait demander des explications sur cette précaution prise en dernière minute, quand soudain la bille en acier se mit à tourner sur elle-même sans qu'apparemment, dans son entourage du moins, rien ne signalât la présence d'appareils pouvant émettre une force quelconque.
Elle tourna à faible régime tout d'abord, puis le rythme s'accéléra progressivement sans que la bille ne se déportât d'un millimètre. Tout au plus s'éleva-t-elle d'une dizaine de centimètres du sol quand sa rotation atteignit une certaine vitesse.
- Quelle énergie meut cette boule ? s'enquit Arès.
- Ce serait trop long à t'expliquer trancha Hermès. Il s'agit d'une invention que je viens de mettre au point. L'énergie est dans la boule elle-même. Elle est provoquée par un morceau de pierre noire...
- De ‘la’ Pierre Noire ? sursauta Arès, soudain inquiet.
- Oui, celle de Majus, précisément.
- Mais... c'est moi qui l'ai !
- La Pierre Noire, qui se meut elle-même, est revenue à Majus. Tu ne l'as plus !
- Mais alors ? Tu la lui aurais substituée ?
- Non ! Il m'en a fait cadeau !
Surpris, et craignant de comprendre qu'il était effectivement tombé dans un piège ainsi que l'avait redouté Vindici, Arès allait répondre quand il réalisa que la bille en acier, en tournant de plus en plus vite, perturbait leur conversation. Non pas par le bruit qu'elle faisait - au contraire, le sifflement qu'elle émettait au début s'était estompé lorsqu'elle eût pris de la vitesse - mais il semblait qu'elle faisait écran entre eux, et que les pensées exprimées avaient de plus en plus de difficultés à parvenir à leur destinataire, comme happées par une force centripète peu commune.
- Matérialisons-nous, dit Vindici, les pensées passent de plus en plus mal.
- Les mots ne passent plus non plus, et depuis longtemps ! lui répondit Hermès.
- Sortons ! cria Progus en se jetant contre le mur afin de le traverser de toute son énergie.
- Inutile, dit calmement Hermès, la force d'attraction de la bille est désormais plus forte que vous !
- Qu'as-tu fait là ? hurla Arès. Tu veux notre destruction ? Mais tu vas te détruire toi-même !
- Exactement répondit Hermès. Je te devais la vie, je te la rends en te suivant dans le néant. Arès, à maintes reprises j'ai tenté de te convaincre de ta folie, tu n'as rien voulu savoir. Or, au nom d'un principe supérieur que je ne maîtrise pas, je ne puis te laisser, avec l'aide de ces deux-là, détruire l’œuvre de Majus.
- Foutaise ! hurla Vindici. Avant de nous absorber, la force d'attraction de cette "chose" va anéantir les murs et le plafond du local qui ne sont qu'en matière. C'est alors que nous, pure énergie, nous pourrons fuir !
- Non ! lui répondit Hermès, ces murs en matière sont habités par toutes les énergies du locus : Majus, Scio, Ratio... Ils sont là...ils nous regardent... Adieu Arès...
Hermès ne put rien ajouter, et Arès ne put lui répondre.
La bille tournoyait sur elle-même à une telle vitesse qu'un observateur humain n'aurait pu la voir. Soudain, elle réapparut, luminosité fulgurante, puis disparut à nouveau. Elle venait d'absorber les quatre dieux qui s'étaient étirés comme un long fil d'or avant de la recouvrir, puis de pénétrer jusqu'à son centre de gravité qui était devenu un véritable micro-trou noir.
Avec la combustion de cette énergie nouvelle venue de l'extérieur, la bille accentua sa folle rotation qui atteignit plus de cent milliards de tours à la seconde. Sous la titanesque pression qui la contractait, ses atomes explosèrent et les photons, éléments constitutifs du rayonnement des quatre dieux, portés à une température comme seul le big bang originel en avait connu une à la première milliseconde, provoquèrent une explosion thermoquantique qui se propagea en chaîne.
A l'extérieur de l'édifice, des capteurs, des accumulateurs, des alternateurs, des transformateurs, et d'autres appareils de toute nature, plus perfectionnés les uns que les autres, canalisaient la formidable énergie qui, selon Majus, devrait alimenter toute la Pagusie en lumière artificielle pendant quelques centaines de siècles.
Ainsi, en dépit du refus opposé par Majus au projet suicidaire de Hermès, ce dernier, en fidèle serviteur, avait-il concilié son devoir envers ses dieux, sa loyauté envers son ancien maître et son attachement à ses chers Pagans. Et, finalement, devant tant de dévouement, les dieux avaient-ils consenti à le seconder dans son action salvatrice.
Quand elle apprit la fin glorieuse de Hermès, Virtus pleura beaucoup; elle pleura comme on ne vit jamais pleurer une déesse ! Un doux lien que personne n'avait soupçonné venait d'être sacrifié à la cause commune.
(à suivre)
L'espoir de l'Océan est au cœur de la Source