par coriolan » 11 Jan 2011 18:34
Deuxième jour
Lundi 26 décembre 1994
8 heures : petit déjeuner au bord de la piscine du Palm Beach. Cathy téléphone pour nous annoncer l'arrivée de la voiture louée.
10 heures : arrivée de la voiture. Il s'agit d'une 505 climatisée, d'apparence honnête pour le pays. Jacky paye d'avance la location des 10 jours mais se fait remettre un reçu avec les dates de location. Sait-on jamais...
La patronne du Palm Beach, une Corse sympathique (si, si!) nous fait cadeau de la première nuit. Economie substantielle de 690 f.f.
10 heures 50 départ pour Yamoussoukro (en abrégé Yamskro).
anecdote : Nous demandons à une passante la route à suivre pour aller à Yamoussoukro. Elle se met à rire comme si nous lui avions demandé Cap Canaveral pour aller sur la lune ! Elle n'a que ces mots : C'est loin ! Puis elle rit encore...et s'en va en traînant la savate avec toute la misère du monde à ses pieds, mais gaie.
Toi, tu nous connais, même en l'absence de panneaux (ce qui est le cas !) on se débrouille...Enfin nous y sommes, nous laissons le Plateau sur notre gauche, et empruntons la seule et unique autoroute du pays, environ 250 km. Entre les glissières centrales les indigènes circulent à pied, les femmes avec leur ballot sur la tête, les gosses courent et traversent la chaussée. Des étalages de fruits, du café et du riz qui sèchent bordent les bas côtés de l'autoroute. La France nous paraît bien loin ! C'est l'Afrique.
Fin d'autoroute. Il reste 50 km de route nationale pour arriver à Yamoussoukro. La route est grevée de nids de poules tous les vingt mètres. Jacky, qui se dispose à nous conduire tout le long du parcours - Claudil s'étant dégonflé ! -, évite les pièges avec maestria.
Les transports : Qui n'a vu, ou pris, les transports en commun en Afrique n'a rien vu ! Les bus, ou cars si l'on veut, sont bondés au point que parfois des jeunes sont accrochés à la portière ouverte, en se balançant à l'extérieur pendant que le bus roule ! C'est tellement plein que nous avons vu des postérieurs assis sur le rebord extérieur des fenêtres (bien sûr, il n'y a plus de vitres depuis belle lurette !). Quant aux taxis, certains sont dans un tel état de vétusté, qu'on hésite à les prendre. Nous en avons arrêté un qui n'avait plus de tableau de bord, plus de compteur (c'est le moindre mal), un volant cassé et rafistolé avec du fil de fer et du chatterton, un levier de changement de vitesses qui, une fois la vitesse passée retombait sur les genoux du conducteur, et dont les sièges crevés laissaient passer les ressorts. Devant un tel amas de ferraille, Claudil dit au chauffeur :
- Voilà un taxi qui risque de ne pas arriver au bout de la course !
- Oh ! mais si !, lui répondit le conducteur en riant aux éclats, il fera bien encore 20 ans.
Si cela se trouve, il en rit encore...tout en roulant dans ce qui lui sert de voiture.
Et les camions ? Quand vous croisez ou doublez un camion, tout est à craindre. Qu'il ne verse sur le côté ou qu'il s'écrase sous le poids de son chargement. Quand vous voyez un camion à l'horizon, vous pensez être victime d'une illusion d'optique, il penche ou il roule en crabe... Lorsqu'un camion tombe en panne, et ça c'est fréquent, le chauffeur coupe des branchages dans la savane ou la brousse environnante, et en dépose des petits tas espacés de un à deux mètres, derrière son camion. A défaut de triangle, sans doute, ce procédé renseigne ses collègues qu'il voudrait du secours et, en attendant précisément, le camionneur se couche à l'ombre de son bahut, devant, derrière ou...dessous !
Une dizaine de kilomètres avant notre future escale, la route devient à quatre voies et, chose surprenante, des lampadaires s’alignent tout le long de la chaussée, à environ une dizaine de mètres chacun. Immenses lampadaires qui semblent annoncer un spectacle anachronique vu le décor…
13 heures 30 : Arrivée à Yamoussoukro. Balade dans des quartiers répugnants de la ville afin de trouver un maquis pour déjeuner. C'est laborieux.
Traversant la ville, soudain, entre deux tas d’ordures vertes et jaunes, deux chantiers en cours de construction, une image fugitive nous crève les yeux. Qu’est-ce que c’est que ça ? Nous arrêtons la voiture et entamons une petite marche arrière… C’est alors que la ‘Chose’ apparaît dans toute sa splendeur ! Là, en plein milieu de toute la misère du monde, à quelques kilomètres, en pleins champs, c’est la vision insolite de Saint-Pierre de Rome ! On nous avait bien prévenus que ce serait un choc, mais là, c’est un aimable euphémisme ! N’eussent été nos estomacs qui criaient famine que nous nous fussions précipités sur la Chose. Hélas ! la nature humaine ayant ses obligations que la raison feint d’ignorer quand ça lui chante, nous finissons par dégoter un maquis sympa. "La Paillotte".
On s'assied, on demande le menu. La serveuse nous apporte le tableau publicitaire qui se trouve sur le trottoir, à l'intention des passants, et nous le brandit sous le nez ! Gag !
- Repas : Claudel et Josette : Biche braisée,
Claudil et Jacky : Brochettes de mérou
Valérie : Poulet kedjenou.
La blague du jour : dans le restaurant, 2 types sont assis autour d'une table.
Jacky : Tiens, 2 pédés !
Survient la femme d'un des deux types, qui s'assied à côté de son mari.
Jacky (rectifiant) : Il n'y en a qu'un qui est pédé !
15 heures : Repus par ce repas copieusement arrosé de flag (vu la qualité du vin ! ), visite de la Basilique "Notre-Dame-De-La-Paix" Un chef d'oeuvre architectural au milieu d'une telle misère ! Houphouët-Boigny, l'ancien président de Côte d'Ivoire a voulu réaliser une copie de Saint Pierre de Rome. Il en a fait don au Saint-Siège. Une splendeur ! Le marbre a été importé d'Italie, les vitraux réalisés à Bordeaux, etc. tout à l'avenant. Et c'est le peuple, pauvre comme Job, qui a payé. Certains nous ont dit que c'était un rempart contre l'Islam, d'autres un scandale, d'autres enfin une merveille à la gloire de Dieu. Quant à nous, nous croyons qu'Houphouët a fait cela pour s'attirer les bonnes grâces du Père Eternel ! Reste à savoir s'il a fait un bon calcul ; si Dieu aime la connerie ! Jacky, en technicien, parie que dans 5 ans, au vu des lézardes déjà très apparentes, l'entretien de l'édifice reviendra aussi cher que ce qu'il a coûté à la construction ! A suivre...
Après avoir acheté une Bible, la TOB, Valérie se fait purifier et rafraichir en passant sous les arroseurs Toro (Pub gratuite !) qui humidifient les pelouses en permanence, ainsi que des jardins à la française qui s'étendent sur plus d'un kilomètre de long !
Quelques chiffres significatifs :
Espaces verts :
32 hectares de jardins plantés de 400, 600 espèces (fleurs, arbustres, ar-bres) et 25 hectares de gazon simple.
Dimensions : Hauteur totale de l’édifice avec la croix : 158 mètres.
La coupole : Hauteur 60 mètres ; diamètre à la base : 90 mètres, surface externe : 14300 m².
La lanterne : hauteur : 40 mètres, poids 320 tonnes.
Les colonnes :
Le péristyle : colonnes doriques,
Le parvis : 84 colonnes doriques,
Le tambour : 48 colonnettes corinthiennes,
L’intérieur de la basilique : - 48 colonnes doriques,
- 12 colonnes ioniques,
- 48 pilastres corinthiens.
Superficie en marbres : 70 000 m² (allée, parvis et intérieur).
Baldaquin : 28 m. de haut.
Vitraux : 12 baies rectangulaires de 21 m. de haut sur 11 m. de large.
12 baies en plein cintre de 28 m. de haut sur 11 m. de large.
12 baies des Apôtres, de 13 m.de haut sur 8 m. de large.
Verrière du Saint-Esprit : 40 m.de diamètre.
Superficie totale des vitraux : 7367 m².
Nous restons une bonne heure à parcourir ce petit chef d'œuvre, étonné, admiratif et, pourquoi le taire, un peu dégoûté, aussi ! Un tel somptueux gâchis pour un hypothétique Dieu et de si misérables gens !
16 heures : Départ pour Bouaké. Voyage RAS. Un seul regret, ne pas avoir vu le panneau indicateur de 'Sakassou', afin de le photographier pour Yvette, ma sœur qui, radine comme pas une en aurait fait une jaunisse . A Tiebissou, petit arrêt pour regarder les tisserands. Claudel prend une photo pour le compte de N'Dri Koffi B.P. 110 à Tiebissou RCI. Le nécessaire sera fait dès son retour en France.
18 heures 30 Au crépuscule, arrivée à Bouaké. Remarque de Valérie : le soleil se couche plus lentement en décembre qu'en mars. Bon, on en accepte l’augure ; elle est institutrice tout de même ! On cherche et on trouve relativement facilement l'Hôtel de l'Air ou les Js sont déjà passés, en mars précisément lors d’une précédente visite à leur fils Ludovic, alors militaire à la base de Bouaké . « Ah ! Dédé ! » (cri des jeunes vierges !).
Les chambres 30 pour les Claudes et 32 pour les Js sont aménagées en suite ! C'est princier ! Valérie a la chambre 29.
Anecdote : Au Palm Beach, occupant la chambre 2, pour obtenir au téléphone la chambre 12 il fallait composer le 312 ; et 302 à partir de la chambre 12 pour avoir le 2 ; logique, non ?
Après avoir pris possession de nos chambres à Bouaké, Claudil demande à la réception, par téléphone :
- Comment téléphone-t-on à une autre chambre, s.v.p ?
- Quelle chambre voulez-vous ?
- Non. Je vous demande comment on s'y prend ?
- Quelle chambre voulez-vous ?
- (d'une voix légèrement énervée) Bon ! Je vous pose la question autrement : Peut-on téléphoner d'une chambre à l'autre sans passer par le standard ?
- (d'une voix sèche comme un coup de trique) Oui !
Un bruit sec. Tonalité...On lui a raccroché au nez !
Explication donnée le lendemain matin par Siaka (ancienne relation des Js, voir ci-dessous) : en principe le numéro de téléphone d'une chambre est égal au numéro de ladite chambre, sauf pour la 30, il faut composer le 33 ; pour la 32, le 31 ; et pour la 29... le 41 ! Suite logique africaine ! C'est l'Afrique ! Et c’est d’autant plus pratique que nous occupons – mais je l’ai déjà dit, les chambres 29, 30 et 32.
19 heures : Retrouvailles émouvantes avec Siaka (Valérie, la scripte du jour -car il faut signaler que chaque jour nous changeons de rédacteur bien que l'inspiration du texte soit collégiale -, Valérie donc, intéressée, note qu'il a 31 ans ! Et note également "petite larme de Valérie" !). Lévitation de Jacky dans les bras de Siaka. C'est la joie simple et pure du grand Noir qui retient ses larmes avec peine.
Au cours du repas, Maryam, sa femme, 23 ans, nous rejoint avec leur fils, Ayouba, 9 mois. Les Js se sont plus ou moins engagés à faire l'éducation à la française du petit Ayouba. Josette en est toute émue à l'idée mais Jacky, plus restrictif, dira plus tard à Claudil : - Oui, mais je demanderai à Siaka qu'il ne soit pas déclaré musulman. Si je dois l'élever, je l'élèverai comme si c'était le mien. A suivre...
Repas : Les Claudes et Josette : Poulet kedjenou,
Jacky : Poulet grillé,
Valérie : Crudités.
En dessert, pour tous : ananas frais, un régal !
Retour dans les chambres, belote avant dodo. Les hommes jouent contre les femmes. Bien entendu, les hommes gagnent ; score honteux inavouable !
Coucher à 23 heures.
Excellente nuit sauf pour les Claudes : lui, bouffé par un moustique qui finira écrasé contre le mur ; elle, insomniaque depuis 15 jours.
A suivre...
L'espoir de l'Océan est au cœur de la Source