Tout d'abord qu'il soit bien entendu que toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé jusqu'à ce jour serait pure coïncidence et n'engagerait en aucun cas ma responsabilité ; je n'agis pas ici en tant que rapporteur mais de conteur et conteur libre d'expression. D'ailleurs, on le verra, cette aventure est folle et il faut avoir un sens aigu de la liberté pour se permettre de la porter sur un forum ! Mais passons à l'histoire...
Monsieur FLOP est un homme d'un âge certain qui frise les quatre-vingts fauchaisons. Ceux qui le connaissent bien vous diront qu'il est un peu fou puisqu'il a passé le plus clair de son temps entre Dieu et Diable, entre le clan de ceux qui croient en ces deux épouvantails au nom de la foi et ceux qui les refusent au nom de la logique. Mais attention, quand je dis 'croyance', c'est croyance et croyance établie, structurée, patiemment élaborée jusque dans les plus infimes détails d'où, inéluctablement, un jour ou l'autre, basculement radical dans le camp adverse. On réinvente Dieu ; on réinvente le Néant. Et encore et encore, hélas ! car avec les mêmes méthodes on aboutit toujours aux mêmes résultats tant il est vrai que dans ce domaine jamais les extrêmes n'ont été plus proches les uns des autres...
Depuis une quinzaine d'années M.Flop vit en maison de retraite. Pour lui, c'est l'idéal : pas de ménage à faire, de soucis pour la cantine. Ses journées, c'est simple : lever 9 heures, petit déjeuner suivi d'une douche bien chaude, lecture de ses mails et d'un courrier ordinaire de plus en plus rare. Et c'est déjà midi ; comme le temps passe !
Un petit ‘jaune’ pour se mettre en train, les pieds sous la table, ‘bénaise’ comme on dit en Charente et M. Flop avale tout ce qui se présente, de quoi mériter la petite sieste traditionnelle à laquelle depuis des années il s’abandonne avec délectation.
Un détail cependant : avez-vous déjà observé des oiseaux en train de picorer ? Toujours aux aguets, les oiseaux n’arrêtent pas, le temps de leur repas, d’être sur le qui-vive comme s’ils craignaient quelque sournoiserie d’un congénère aussi affamé que lui. Eh bien, et vous pourrez l’observer au restaurant, l’homme seul devant son plat fait pareil et, filmé puis passé en accéléré, c’est kif-kif le piaf ! Mais en observant mieux monsieur Flop vous ne manqueriez pas d’être étonné par un autre petit détail. Il regarde au fond et à droite de la cafétéria, un gros bonhomme, M. Dussein qui semble n’attendre que ce contact visuel. M. Flop hoche la tête, M. Dussein fait de même : un accord a été passé. Et puis c’est au tour de ce dernier de se mettre en quête d’une autre ligne optique avec M. Vautour, petit bonhomme aussi court et chétif que Dussein est gras et grand. Et ce jeu de pistes qui, matérialisé, donnerait une image de ce que donnent les rayons laser visibles d’un système de surveillance dans une bijouterie de la place Vendôme, ce jeu de piste donc se poursuit dans l’indifférence totale de son initiateur, M. Flop qui lui, mange et se fiche bien du reste…
J’ai dit que Marcel Flop avait un ordinateur ? Oui, puisque tous les matins il lit ses mails, mais je n’ai pas dit qu’il se prénommait Marcel ; il me semblait bien que j’avais oublié quelque chose qui n’a aucune importance d’ailleurs. Quand la lecture de ses mails lui a pris une dizaine de minutes, c’est bien le bout du monde. Après, il zappe sur l’actualité et quelques forums qu’il a pris en amitié mais sur lesquels il ne donne jamais son avis, le point de vue des autres est beaucoup plus important à ses yeux que ses propres élucubrations. Et puis un jour, au hasard de son zapping, il est resté scotché sur un article qui avait tout lieu de le harponner au passage : LE BIG FLOP. Quand on s’appelle Flop et qu’on n’est pas bien grand, on ne peut pas faire l’impasse du tel post.
Marcel Flop respectueux des lois et plus soucieux de sa petite personne que des grands problèmes de notre société n’avait jamais été intéressé par la politique : il payait ses impôts et ne voulait pas d’ennuis avec les forces de l’ordre qu’il considérait nécessaires pour la défense et le confort du citoyen. M. Flop voulait bien s’attaquer à la religion mais pas à la politique, à Dieu oui, mais pas au Président ! Or là, ce qu’il découvrait était pour lui une véritable révélation et, si je puis dire, il en tomba des nues ! Voilà que l’on remettait en cause jusqu’aux Droits de l’Homme, des notions aussi sûres que la Liberté et l’Egalité. C’était inconcevable cinq minutes plus tôt et là, soudain, des bribes d’agacements accumulés tout au long de sa vie faisaient bloc et venaient s’imposer au pauvre homme qui n’en demandait pas tant ! Ces bribes étaient bien là où elles étaient, dans l’obscurité de sa calotte crânienne, quel besoin pour elles d’aller voir s’il faisait beau dehors ? Tout de même le pauvre Flop en fut ébranlé.
Alors il se mit à assimiler, copier et analyser ce Big Flop avec le même acharnement, le même sérieux qu’il avait pendant des années disséqué la Bible. Et, parmi les amis qu’il n’avait pas manqué de se faire en quinze ans, il entreprit d’aborder le sujet avec toute la délicatesse que nécessite le respect dû à autrui. Il n’était pas question pour lui de convaincre – du moins au début – mais d’avoir un interlocuteur afin de ne pas trébucher sous le poids de ses propres erreurs qui, vingt fois répétées, finissent par être des réalités.
C’est ainsi que Marcel Flop devint chef de bandes (le moyen de dire autrement ?) d’une dizaine d’individus dont l’âge variait entre 70 et 85 ans et qui, dans la vie active avaient été du cadre moyen au chef d’entreprise ( la Maison de retraite, mine de rien, est un impitoyable sélectionneur selon la fortune de chacun !) et, le moins qu’on puisse dire, c’est que l’équipe manquait de dactylos, d’intermittents du spectacle et de balayeurs. On me dira que la démocratie en prend un sérieux coup mais quand on sait (ce qu’ignorait Marcel Flop) ce que vaut la démocratie, on ne regrettera pas non plus qu’au sein de l’assemblée il y ait pénurie de clochards, d’ivrognes et de drogués.
Le clin d’œil qui balaya la cafétéria dans le bruit des mandibules et des fourchettes n’avait qu’une seule signification : « confirmation de notre réunion cet après-midi à l’endroit convenu et à l’heure habituelle ».
A suivre…
Ce texte est un premier jet qui verra sans doute certaines modifications de forme sinon de fond.